Article relevé dans ''Le télégramme'' du 1er mars 2014 de Yvon Corre, ..........à méditer !
On comprend mieux pourquoi les projets de réformes dans ce pays n'aboutissent pas.
Il est demandé aux élus de se réformer eux-mêmes...... et c'est là que çà coince !
Pourquoi ils s'accrochent
Ils briguent un cinquième ou sixième mandat, voire un septième. Avec
souvent de bonnes chances d'être réélus. Ils s'agrippent à leur mairie
comme si leur vie en dépendait. Des « cumulards » dans le temps parfois
critiqués mais qui s'en remettent avant tout aux électeurs.
La question les agace. Certains n'ont même pas envie d'en parler. Pas un
sujet, disent-ils. Parlons plutôt bilan et projet. Quand ils sont
entrés en politique ils avaient une trentaine d'années. Ils ont
aujourd'hui, souvent, autour de 70 ans et tous assurent avoir toujours
la même flamme pour leur commune. Comme aux premiers temps. Bien sûr ils
vous diront qu'ils ont certes hésité à se représenter mais ça a été
plus fort qu'eux. Et puis il y a eu, comme on dit, des amicales
pressions. Y compris de jeunes. Difficile de ne pas y céder. L'esprit de
sacrifice en quelque sorte.
« Comme au premier jour »
« Petits » ou « grands » maires ils sont un certain nombre qui vont
tenter de rempiler pour la cinquième, la sixième voire la septième fois.
Qui, à l'instar d'un Pierre Méhaignerie à Vitré (35) ou d'un Xavier
Berthou à Plounévézel (29), ont été élus pour la première fois en 1977.
Ou qui, comme Jacques Le Ludec à Kervignac (56), Jean-Yves Crenn à
Lopérec (29) ou René Jégat à Pleugriffet (56), l'ont été en 1983. Parmi
les « cumulards » bretons dans le temps Pierre Méhaignerie est
assurément le plus emblématique. Le maire de Vitré va briguer, le 23
mars prochain, un septième mandat. Quand il a été élu pour la première
fois son principal concurrent d'aujourd'hui, Hervé Utard, n'était pas
encore né. À 74 ans, l'ancien ministre assure être en pleine forme. «
Pour moi, c'est comme au premier jour », dit-il. Le combat de trop ? «
Mais bien sûr que non, les enjeux sont tellement importants. Ce que me
demandent les gens c'est simplement de préparer ma succession ». De
toute façon « c'est à l'électeur de décider ». De ce côté-là, Pierre
Méhaignerie, toujours réélu au premier tour avec plus de 60 % des voix,
n'a pas vraiment de souci à se faire. D'autant que son opposant ne fait
pas de l'âge du capitaine un argument de campagne. « C'est une affaire
personnelle », répond Hervé Utard qui se permet juste de relever que «
le monde change et qu'il faut pouvoir s'adapter ». À Saint-Malo (35),
René Couanau est moins assuré de sa réélection mais ce n'est pas ça qui
l'a empêché de partir une nouvelle fois à la bataille. À 78 ans il va
tenter de décrocher un cinquième mandat. « Mon antépénultième mandat »,
lâche-t-il, sur le ton de la plaisanterie. Manière de dire que ce n'est
pas là un sujet qui mérite qu'on s'y attarde.
Une mission
De l'obstination ? Non, trois fois non. « Si on y va c'est parce qu'on
nous le demande. On poursuit une mission ». Et puis, il y a aussi,
forcément, l'invocation des circonstances. Difficiles, elles exigent de
l'expérience. Mais René Couanau le reconnaît : « C'est quand même un
choix de vie ». Difficile d'envisager que tout va s'arrêter un jour.
Pour son opposition, c'est aussi un sujet délicat à aborder. Stéphane
Perrin qui conduit la liste socialiste cite Brassens. « L'âge temps ne
fait rien à l'affaire », admet-il. Pas question donc d'en faire un
argument contre le maire sortant. Surtout qu'à Saint-Malo, il faut
compter avec de nombreux électeurs d'un âge certain. En revanche, celui
qui aspire à prendre la relève est très sévère sur l'enchaînement des
mandats. « Cela conduit à une situation de toute puissance et de déni ».
Bêtise
Mais comme Pierre Méhaignerie, René Couanau - argument ultime et quasi
imparable - s'en remet aux électeurs et à leur bon sens. C'est
finalement eux qui décideront. C'est aussi l'argument principal de
Jacques Le Ludec, 69 ans, qui va tenter de décrocher un sixième mandat à
Kervignac. Et pour qui la réussite demande nécessairement du temps.
Alors pourquoi vouloir limiter, comme certains le réclament, le nombre
de mandats dans le temps, ceci pour favoriser le renouvellement des élus
? « Suicidaire, une absolue bêtise, pourquoi ne pas laisser les
électeurs libres », réplique tout de go le maire de Vitré. Jacques Le
Nay qui est candidat pour la cinquième fois à Plouay (56) revendique,
lui aussi, un peu de liberté. « Il faut arrêter de mettre des barrières
partout ».
Mille feuille
territorial : trois « bonnes » raisons pour ne rien changer
Peut-on raisonnablement
croire à une réforme des collectivités territoriales dans de brefs
délais ? Non, bien sûr, et ce n’est pas le texte de loi sur la
décentralisation qui sera bientôt présenté au Parlement qui nous fera changer
d’avis.
Pourtant, les arguments
sont là : trop de collectivités, des missions qui se superposent, des
dérives financières et des impôts locaux qui augmentent, et par-dessus tout une
incompréhension totale du système par le citoyen qui se déplace de moins en
moins pour voter aux élections locales.
Or, il n’y a aucune
chance pour que l’on réforme le mille feuille territorial, malgré ces tares
constatées. Pourquoi ? Des forces conservatrices sont à l’œuvre et
empêchent les choses d’évoluer.
Tout part en premier lieu du cumul des
mandats et du besoin de se faire réélire ou de
trouver un point de chute pour des élus qui sont devenus des professionnels et
qui ne veulent rien faire d’autre.
Les mandats nationaux,
européens ou locaux (560 000, environ) sont autant de possibilités de
poursuivre une carrière politique malgré les aléas des élections. C’est aussi
un vivier qui légitime les partis politiques et leur fonctionnement archaïque.
On sait depuis peu que
l’application (bien douce) du non cumul des mandats ne sera effective qu’à
partir de 2017 et que ce non cumul ne limitera pas dans le temps le nombre de
mandats successifs, ce qui perpétuera une caste politique soucieuse de se faire
réélire.
Le rôle des lobbies
Le second argument pour
dire qu’il n’y aura pas de réforme des collectivités est dans le prolongement
du premier. Les lobbies professionnels ou associatifs ont bien compris le
pouvoir de nuisance qu’ils détiennent et la fragilité des élus qui cherchent à
se faire réélire. Cela se traduit par des reconductions de budgets sans que pour
autant l’utilisation et l’utilité des crédits ne fasse l’objet de contrôles
efficaces (secteur associatif social, culturel, de la formation,…), ou pour des
travaux d’investissements, des délégations de service public, des partenariats
publics privés (véritables machines à cash pour les entreprises) ou bien des
marchés liés au fonctionnement des collectivités dont l’utilité n’est pas
toujours avérée. Le seul argument avancé est que « c’est bon pour
l’économie locale ». C’est pourquoi notre pays regorge de ronds points et
d’aménagements urbains et que les bureaux d’études et autres experts sont
sollicités pour un oui ou pour un non et prospèrent (alors même que les études
pourraient être faites en interne aux collectivités).
La puissance de la fonction Publique
territoriale
C’est le troisième point
de mon raisonnement pessimiste, encore faut-il le nuancer. Les fonctionnaires
territoriaux sont au nombre de 1,8 Millions et leur nombre a singulièrement
augmenté ces dernières années, sans qu’ils en soient directement responsables.
Ce sont en effet les élus, dans leur besoin d’exister dans leurs différentes
structures territoriales (un général sans armée n’est rien) qui ont créé ces
postes, particulièrement dans le secteur de l’intercommunalité, alors que bien souvent
des transferts de personnels de communes vers les intercommunalités auraient pu
se faire. Pour compléter ce point ajoutons que le courage des élus en matière
de management du personnel n’est pas une vertu reconnue : les
fonctionnaires territoriaux votent.
Ils sont également des
observateurs pertinents des dérives locales liées à la superposition des
collectivités.
Cette puissance de la
Fonction publique territoriale s’exprime également au travers des organisations
syndicales qui guettent tout transfert ou fusion ou réaménagement des services,
susceptibles de réduire leur audience. La cristallisation de craintes pas
toujours fondées fait alors partie de la stratégie, et les syndicats obtiennent
souvent des compensations financières ou d’avancement de carrière pour les
agents pour débloquer les choses. Le paradoxe est alors de constater que pour
rationnaliser l’action publique et espérer des économies à terme, il faut
d’abord dépenser de l’argent, ce qui pose la question de l’efficacité de la
méthode.
Enfin, la puissance de
la F.P.T. s’exprime aussi beaucoup au travers de ses cadres dirigeants.
Autrefois recrutés parmi la haute fonction publique d’Etat pour tenir les rôles
de direction dans les Régions, Départements, intercommunalités et villes
importantes, ils proviennent aujourd’hui de plus en plus du corps des
administrateurs territoriaux qui sont formés dans une école spécifique à
l’instar et à l’égal de l’ENA pour la Fonction Publique d’Etat.
Une diminution du nombre
de ces collectivités territoriales se traduirait par une diminution du nombre
de postes de cadres dirigeants et par une difficulté pour eux à faire une belle
carrière. C’est pourquoi, l’association des administrateurs (leur lobby
professionnel) ne propose surtout pas de diminuer le nombre de collectivités
territoriales afin de conserver une masse critique de postes.
Voilà les trois raisons
(parmi d’autres sans doute) qui bloquent toute réforme des collectivités
territoriales et il n’y a aucune raison d’être optimiste avant longtemps